Conditionnement et masturbation

D’abord un petit rappel : on entend encore parfois que la masturbation rend sourd.e, fatigue excessivement l’organisme, risque d’agrandir les lèvres internes (=petites lèvres), etc. Tout cela est archi faux ! L’auto-érotisme est naturel et bon pour la santé (bon on se lave les mains et on évite de mettre n’importe quoi dans son corps).

 Focus vulve 

Se donner du plaisir sexuel à soi-même est une activité parfaitement légitime (mais pas obligatoire) et la plupart du temps bénéfique à la sexualité et la santé. Toutefois, il arrive que certaines habitudes masturbatoires contractées dans l’adolescence (ou plus tard dans la vie) conduisent à des difficultés ou à des limitations dans la sexualité.

Ainsi, certaines personnes commencent leur vie auto-érotique en exerçant une pression forte sur le mont du pubis. Parfois couchée sur le ventre, à l’aide d’une peluche, un oreiller, ou les mains jointes ; parfois en s’appuyant sur un coin de meuble, un accoudoir de fauteuil, etc. Elles ont découvert par hasard que cela leur procurait du plaisir, parfois dans la toute petite enfance, et répètent ce mode de stimulation qui fonctionne bien pour elles. Elles activent ainsi les récepteurs profonds du plaisir. Et c’est très bien !

Toutefois, quand les modes de stimulation ne se diversifient pas progressivement au cours du temps, le corps, qui s’est formaté à éprouver du plaisir de cette manière, aura du mal à fonctionner différemment. Cela peut faire obstacle au ressenti d’autres sensations procurées par les récepteurs de plaisir situés à la surface de la vulve. Et certain·e·s peuvent vivre cela comme une limitation, notamment dans les relations avec partenaire.

Parlons aussi sex-toys, ces merveilleuses inventions qui ont contribué à diversifier les manières d’obtenir un orgasme mais aussi à déculpabiliser la masturbation. Loin de nous l’idée d’en décourager l’usage ! Cependant, leur usage exclusif peut entraîner quelques inconvénients. En effet, les personnes qui prennent l’habitude de se masturber avec des sex toys vibrants – et uniquement de cette façon –, peuvent ensuite éprouver des difficultés à jouir autrement. En effet, la vibration est un mode de stimulation très particulier et, comme il est difficilement reproductible par la main humaine, cela peut devenir réducteur pour les activités sexuelles à deux. Se stimuler régulièrement sans l’aide de son vibrateur permet donc non seulement de varier les plaisirs, mais également d’ouvrir ses possibilités de ressentir du plaisir.

 

Le pénis aussi

Certaines habitudes de stimulation du pénis peuvent également conditionner la façon d’obtenir plaisir et orgasme.

Par exemple, on sait qu’une grande partie des personnes qui souffrent d’éjaculation rapide ont, plus jeunes, pris l’habitude de se masturber vite, de manière à parvenir à l’orgasme le plus rapidement possible. Souvent ces personnes partageaient une chambre avec un frère ou une sœur, étaient en internat, ou craignaient d’être surprises pour toute autre raison. Le cerveau et le corps se sont habitués à fonctionner de cette façon et il faudra une véritable rééducation si l’on souhaite apprendre à fonctionner différemment. Précisons que l’éjaculation rapide n’est pas une pathologie, mais qu’elle peut miner la confiance en soi et empêcher la personne et ses partenaires de savourer la sexualité.

Autre exemple de conditionnement sexuel, certain·e·s ont éprouvé leurs premières sensations de plaisir en serrant très fort leur pénis, ou en appuyant beaucoup sur certaines zones. Corps et cerveau se sont éduqués à jouir grâce à cette pression. Parfois les récepteurs de plaisir à la surface du pénis n’ont pas eu l’occasion de beaucoup développer leur sensibilité. Ce n’est pas forcément une difficulté, mais cela peut être limitant. Par exemple, lors d’une pénétration, le pénis peut ne pas ressentir grand-chose et ne pas obtenir les stimulations qui le mènent à l’orgasme ou qui lui permettent de maintenir son excitation.

Enfin, citons encore le porno qui habitue à fonctionner avec une excitation extrêmement élevée et uniquement visuelle. Il arrive que l’excitation soit ensuite difficile à retrouver dans les situations réelles, ce qui peut entraîner difficultés d’érection, d’éjaculation, et problèmes relationnels…

Qu’on ait un pénis ou une vulve, pas de panique, le cerveau humain est plastique, ce qui a été conditionné peut être déconditionné !

Les fantasmes

Les fantasmes sont un formidable support masturbatoire. Ils sont un espace de liberté où chacun est le réalisateur de ses propres films érotiques/pornographiques. Leur raison d’être n’est pas forcément d’être réalisés, mais de permettre à la personne de s’exciter. Ce sont les outils mentaux d’excitation sexuelle de chacun. Avoir un imaginaire érotique riche est d’ailleurs un atout tout au long de la vie sexuelle.

Certaines personnes ont besoin, à l’approche de l’orgasme, de s’accrocher à une pensée, une image, un scénario, toujours identique, qui est particulièrement excitant pour eux. Il s’agit souvent d’un fantasme apparu très tôt dans la vie. Ce n’est pas forcément une difficulté si cela ne provoque pas de souffrance. Cela peut même être fonctionnel si cette pensée permet d’atteindre le niveau d’excitation nécessaire au déclenchement de l’orgasme. Et on n’est pas obligé d’en parler à ses partenaires !

Il arrive cependant que ces personnes souffrent de ne pouvoir obtenir plaisir ou orgasme que de cette façon. Ainsi une personne qui ne parvient au plaisir, seule ou à deux, qu’en imaginant des scènes de domination ou de soumission alors que cela ne correspond pas à sa philosophie, ou à son image d’elle-même, peut éprouver une grande détresse. C’est le cas aussi des personnes fétichistes qui ne peuvent jouir en l’absence de l’objet fétiche ou d’interaction avec celui-ci, que ce soit un vêtement, une partie du corps, etc. Certain·e·s souffrent aussi de se sentir déconnectées de leur partenaire dans les moments de sexualité à deux

Ces personnes vivent leurs fantasmes comme limitants, synonymes de contrainte au lieu de liberté, parfois même sources de honte.

Ces fantasmes ont souvent émergé dans l’enfance ou l’adolescence. Ils peuvent avoir été suscités par un film, un livre, une scène vue ou vécue. Des années de plaisir obtenus grâce à eux les ont ancrés profondément dans le fonctionnement sexuel. Mais on peut diversifier, enrichir ses fantasmes et/ou changer le regard que l’on porte sur eux.

Les solutions 

Les derniers textes évoquent les conditionnements du corps et du cerveau qui, nés des habitudes masturbatoires, peuvent ensuite se révéler limitants ou créer des difficultés sexuelles (mais pas forcément). Dans un grand nombre de cas, ces conditionnements peuvent être défaits, avec l’aide d’une sexothérapie, ou en s’obligeant seul·e à diversifier son répertoire, à habituer progressivement son corps à fonctionner différemment. Si le conditionnement est ancien, il faudra peut-être se montrer patient·e.

Mais, est-ce que ces difficultés nous donnent, en creux, la recette de la bonne masturbation, celle qui procurerait le plus de plaisir et permettrait (si on le souhaite) d’avoir des activités sexuelles épanouissantes avec partenaire ? Non, bien sûr ! La normalité n’existe pas en sexualité.

Si vous retenez un seul mot de cette série de texte, alors retenez diversité. Concrètement, si on peut et qu’on souhaite que nos possibilités de ressentir du plaisir seul·e ou avec partenaire soient le plus larges possibles, alors mieux vaut diversifier nos modes de stimulation. Si on a une technique qui fonctionne bien, on ne s’arrête pas là et on continue nos explorations. Surtout si c’est un mode un peu contraignant ou pas trop compatible avec les activités qu’on aimerait avoir avec des partenaires.

Ensuite, qu’on ait un pénis ou une vulve, restons curieux de notre corps et de notre sexe dans leur entièreté. N’oublions aucune zone. Essayons différentes caresses, différentes pressions, différents rythmes. Stimulons nous dans différentes positions, debout, couché·e, assis·e, sur le ventre, sur le dos, jambes ouvertes ou fermées… Et puis, cultivons notre imaginaire érotique, enrichissons-le, et pas seulement avec des écrans. Enfin, et surtout, prenons le temps !

[Petite note à destination des parents qui liraient ces textes : n’intervenez pas dans les activités auto érotiques de votre enfant ou adolescent, même si vous craignez qu’il ne se conditionne d’une façon qui lui crée des difficultés plus tard. C’est leur intimité et vos interventions seraient plus dommageables que profitables. Si vous êtes vraiment inquiet, posez la question à un·e psychologue, un·e sexothérapeute/sexologue, ou au Planning familial le plus près de chez vous]