L’interdiction faite aux femmes de porter le pantalon

Porter un pantalon, quelque soit notre sexe ou notre genre, nous semble aujourd’hui parfaitement banal. Et pourtant, dans notre pays, du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) jusqu’au 31 janvier 2013, c’était illégal  (du moins à Paris et en région parisienne) !

Ce n’est pas une blague. Par une ordonnance du 7 novembre 1800, intitulée Ordonnance concernant le travestissement des femmes, le préfet de police de Paris interdit le port du pantalon aux femmes. Aux termes de ce texte, “toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour obtenir l’autorisation”. Celle-ci est accordée sur présentation d’un certificat médical justifiant la nécessité du port du pantalon, par exemple pour monter à cheval ou l’exercice d’un métier particulier. Pour plus de détails, lisez Une histoire politique du pantalon (Éditions Points Seuil), un ouvrage passionnant signé Christine Bard, professeure d’histoire contemporaine spécialiste de l’histoire des femmes et du genre. On y apprend notamment que la peintre animalière Rosa Bonheur obtient son autorisation en raison de sa fréquentation intensive des foires aux bestiaux, et que certains certificats médicaux mentionnent l’hypertrichose (pilosité importante) comme raison justifiant le port du pantalon par celles qu’on appelle alors “les femmes à barbe”. Leur différence est-elle plus acceptable dans un pantalon que dans une jupe ?

Au tournant des 19e et 20e siècle, la situation évolue et deux accessoires (un peu encombrants) permettent de passer en pantalon devant des policiers sans se faire verbaliser. Deux circulaires de 1892 et 1909 autorisent en effet le port du pantalon “si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval” ! Évidemment, certaines audacieuses portent le pantalon sans demander une autorisation, ni traîner leur cheval ou leur vélo partout. C’est le cas de l’écrivaine Georges Sand qui, comme le raconte Christine Bard, pénètre incognito dans le monde des hommes grâce à ses habits masculins.

Au cours des années 60 et 70, les femmes commencent à porter massivement le pantalon, qui accompagne le mouvement d’émancipation féminine. Il est désormais un vêtement unisexe, tandis que la jupe et la robe restent des vêtements essentiellement féminins. Certain·e·s d’entre vous ont peut-être dans leur entourage des femmes qui ont vécu ce tournant ; qui, à un moment, vers le milieu de 20e siècle, se sont autorisées à acheter leur premier pantalon. S’en souviennent-elles ? Qu’ont-elles ressenti ? Posez-leur la question !

L’interdiction est tombée en désuétude depuis belle lurette lorsque, le 31 janvier 2013, Najat Vallaud-Belkacem, alors Ministre des droits des femmes, fait savoir que l’ordonnance de 1800 est abrogée. Elle explique que l’incompatibilité de ce texte avec le principe d’égalité entre les femmes et les hommes contenu dans la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l’Homme en a entraîné l’abrogation implicite.

Difficile aujourd’hui d’imaginer que l’idée d’une femme en pantalon soit si dérangeante, si menaçante, qu’elle justifie une interdiction légale. A la lecture du texte de 1800, on comprend que, ce qui est alors inacceptable, c’est qu’une femme puisse être confondue avec un homme. Femmes et hommes doivent pouvoir être différenciés au premier coup d’œil. Mais pourquoi est-ce si important ? La réponse est à chercher du côté des relations de pouvoir, et n’est malheureusement pas dénuée de résonances contemporaines. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les hommes de nos contrées ne se sont pas encore appropriés (ou très peu) la jupe et la robe, pourtant tellement agréables à porter en été. Mais la mode accompagnant l’évolution des mœurs, il est permis d’espérer. Liberté, égalité, solidarité vestimentaire pour tout·e·s !


Bibliographie :
Une histoire politique du pantalon, de Christine Bard, Éditions Points Seuil, 2010 (réédition 2014).
Archive INA
“Il y a 10 ans, les Parisiennes étaient autorisées à porter le pantalon : Christine Bard nous raconte cette épopée féministe” sur Causette
Cahiers du genre n°52